Décor

 : Please see below for the English translation :

Mayura Torii explore les malentendus de qui serait lost in translation autant sur le plan de la vie quotidienne que dans les différents propos entendus sur les arts, malentendus fertiles en humour et aiguisant l’esprit critique. Le langage est sa source première de perplexité et d’inventions, la seconde, attenante, étant la traduction qu’elle a été obligée d’opérer d’une culture dans une autre pendant longtemps. Ses objets, dessins, peintures, souvent accompagnés de cartels et de titres, sont propices aux jeux de mots ou d’images, à l’équivoque sexuel et au non sens. Elle montre comment des mots pris pour d’autres décrochent des images qui s’y rapportent. Grâce à ces hiatus, c’est avec finesse qu’elle s’en prend à l’autorité patriarcale culturelle et domestique, qu’elle soit la référence obligée au Grand Artiste ou l’homme au quotidien. Elle ne le fait pas en militante mais sur le mode d’objections à rebondissements qui ne concluent rien, d’autant plus que le doute tamise son ironie, qu’il en est le sel.

Décor, regroupant ses derniers travaux, prend le parti du registre le plus mineur possible. Rien n’est plus minoré que la notion de décor et quand un peintre en fait un, c’est qu’il peint une illusion faite pour l’agrément. Décor est synonyme de simulacre pour ceux qui pensent que la société actuelle n’est qu’un ensemble de décors, une sorte de village Potemkine généralisé. Mayura Torii produit des peintures reconnaissables avant d’être vues parce que venues de la mode vestimentaire. Elle en fait la métonymie d’un groupe et de ses usages en même temps qu’une pseudo abstraction géométrique. Elle confond les codes de reconnaissance culturelle et les ramène sur le même plan sans hiérarchie. Elle assimile le regard sur l’art à une identification de groupe, comme il y en a autour des marques vestimentaires. La place de la peinture n’est-elle plus que celle d’un objet ready-made dans un décor ? Garde-t-elle la moindre chance d’apparaître, alors qu’elle est glacée par le prêt-à-penser ? Peut-elle se frayer un chemin entre des codes totalisant ?

C’est sur la façon dont art et anti art fabriquent de la valeur et du prestige que Mayura Torii porte sa satire. C’est aussi sur les paradoxes et les inversions d’une sous culture dévoyée et d’une culture élitiste et prétentieuse que s’aiguise son esprit faussement candide. Les lady-made sont des ouvrages de dame, du tricot ou de la layette, de l’artisanat domestique. D’abord censés fournir une housse douillette aux ready-mades de Marcel Duchamp, elles peuvent encore servir de protection à ceux qui achètent leur porte-bouteille au B.H.V. Depuis leurs premières versions, ces lady-made ont pris leur indépendance par rapport à l’objet duchampien rappelé par une petite sérigraphie où celui-ci s’est dilué. Ces tricots, doigts de gants, bonnets de géant ou de lutin, ils sont bien sûr fait-main mais jamais l’objet artisanal ne s’oppose à l’objet industriel. Il l’accompagne. Ce n’est pas une opposition, mais un contact et c’est aussi ce que la pensée tricote devant un concept. Par exemple à propos de la dissolution de l’art dans la vie quotidienne et de ses conséquences paradoxales. Aussi les derniers lady-made rappellent-ils dans leur présentation ces images de catalogues sur internet où des artisans amateurs s’intitulant créateurs montrent leur création à la vente à la manière des articles dans une boutique, mug caribbean, coussins brodés et coiffes rastafari postés sur demande, objets dont le fait-main revendique le caractère unique. Est-ce une erreur de confondre le « fluxstore » et les articles fantaisie ? Est-ce un regard trop aigu sur les mœurs d’une époque que de mettre sur le même plan les solutions économiques des créateurs occasionnels et les clubs Tupperware ? Le site internet n’est-il pas l’alternative actuelle au stand du concours Lépine ? Et pourquoi ne pas se réjouir de voir certains mots d’ordre des anciennes avant-gardes pris au pied de la lettre par ceux qui n’en ont jamais entendu parler ?

Frédéric Valabrègue

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(english version)
Mayura Torii explores the misunderstandings of those who would be ’’lost in translation’’ as much on the level of daily life as in the various comments heard on the arts, misunderstandings fertile in humor and sharpening the critical spirit. Language is her first source of perplexity and invention ; the second, adjoining, is translation, which she has been obliged to make from one culture to another for a long time. Her objects, drawings, paintings, often accompanied by labels and titles, are conductive to word or image games, to sexual equivocation and nonsense. She shows how words taken for others detach from the images that are related to them. Thanks to these hiatuses, it is with finesse that she attacks the cultural and domestic patriarchal authority, whether it is the obligatory reference to the Great Artist or the man in everyday life. She does not do it as a militant but in the mode of bouncing objections which conclude nothing, especially since the doubt sifts her irony, which is the salt of it.

Décor, gathering her latest works, takes the side of the most minor register possible. Nothing is more minor than the notion of decor and when a painter makes one, it means that he paints an illusion made for pleasure. Decor is synonymous with simulacra for those who think that today’s society is only a set of decorations, a sort of generalized Potemkin village. Mayura Torii produces paintings that are recognizable before they are seen because they stem from clothing fashion. She makes of them a metonymy of a group and of its uses at the same time as a geometrical pseudo abstraction. She confuses the codes of cultural recognition and brings them on the same level without hierarchy. She assimilates the gaze on art to a group identification, as happens with clothing brands. Is the place of a painting no more than that of a ready-made object in a decor ? Does it have the slightest chance to appear, while it is frozen by the ready-to-think ? Can it make its way among totalizing codes ?

Mayura Torii’s satire focuses on the way art and anti-art create value and prestige. It is also on the paradoxes and inversions of a misguided subculture and an elitist and pretentious culture that her falsely candid spirit is sharpened. The lady-made are ladies’ works, knitting or layette, of domestic craft work. At first, they were supposed to provide a cosy cover for Marcel Duchamp’s ready-mades, but they can still be used as a protection for those who buy their bottle holder at the B.H.V. (a multispecialist department store in Paris) Since their first versions, these lady-made have taken their independence from the Duchampian object evoked by a small silk-screen print where this one has been diluted. These knitwear, fingers of gloves, bonnets of giants or elves, they are of course handmade but the crafted object is never opposed to the industrial object. It accompanies it. It is not an opposition, but a contact and it is also what the thought knits with a concept. For example, the dissolution of art in everyday life and its paradoxical consequences. Also the latest lady-made recall in their presentation these images of internet catalogs where amateur crafters, calling themselvesr "ceators," show their creations for sale in the manner of articles in a store : caribbean mug, embroidered cushions and rastafari headdresses posted on request, objects whose unique characteristic is the claim ob being handmade. Is it a mistake to confuse the "fluxstore" with fancy goods ? Is it taking too sharp a look at the mores of an era to equate the economic solutions of casual creators with Tupperware clubs ? Isn’t a website the current alternative to the Lépine contest stand (French competition of inventions created in 1901) ? And why not rejoice to see some of the slogans of the old avant-gardes taken literally by those who have never heard of them ?

Frédéric Valabrègue